Les castagnettes de Carmen # 13

Alceste de C.W. Gluck à l’Opéra de Lyon du 2 au 16 mai

C’est l’amour conjugal que célèbre cette Alceste, produite ici dans sa version dite parisienne, créée en 1776. Le roi Admète se meurt — suite à un accident de voiture, nous dit la vidéo projetée pendant l’ouverture — mais l’oracle d’Apollon annonce que le décès programmé peut être annulé si quelqu’un se propose pour mourir à sa place. rsz_alcesteg-rjeanlouisfernandez096Parce qu’elle ne peut envisager de vivre sans son époux, la reine Alceste décide de s’offrir en sacrifice. Le dieu ainsi satisfait, Admète célèbre joyeusement son retour parmi les vivants, mais s’inquiète de la tristesse de son épouse et s’effondre quand il apprend que c’est elle qui doit mourir : lui non plus ne pourrait vivre sans sa compagne. La fin de l’intrigue se déroule au bord du Styx, où Caron est pressé d’embarquer Alceste jusqu’aux enfers. Heureusement, Hercule qui passait par là intervient pour vaincre les dieux infernaux et rendre Alceste à Admète.

Alceste, ce sont les derniers feux du baroque et des opéras de cour, avec leurs thèmes empruntés à l’antiquité et leurs chatoiements musicaux, ici bien mis en valeur par l’élégante direction de Stefano Montanari. Il faut dire que Gluck était orfèvre en la matière ; sa partition regorge de très beaux moments, parmi lesquels l’ouverture mais surtout les déchirants soli du rôle-titre. L’œuvre est en effet tout entière centrée sur le personnage de cette reine pour qui mieux vaut mourir que vivre sans celui qu’elle aime, et ne laisse que peut de marge d’existence aux autres protagonistes. C’est dire tout le poids qui pèse sur l’interprétation de Karine Deshayes, quasi omniprésente sur scène et qui, tour à tour fragile et puissante, joue une Alceste des plus poignantes. Julien Behr n’est pas en reste dans le rôle d’Admète, dont il sait rendre palpable le désarroi. Sa colère contre la décision de sa femme (« Qui t’a donné le droit de disposer de toi ? ») ne peut qu’apparaître vaine puisque c’est d’une femme libre et non d’une épouse soumise qu’il est épris.

rsz_alcesteg-rjeanlouisfernandez097La mise en scène d’Alex Ollé (du collectif la Fura dels Baus) parvient à constamment soutenir l’attention du spectateur. Particulièrement inventive, elle fourmille de détails et aucun personnage de second plan n’apparaît superflu ou déplacé. Alors que pesait le risque du kitsch (souvent proche voisin du baroque), la transposition d’un royaume de l’antiquité au château d’un aristocrate ou grand bourgeois contemporain est très réussie, qu’il s’agisse du décor (Alfons Flores), des costumes (Josep Abril) ou même des attitudes des personnages de la cour, qu’on croirait droit sortis d’une étude des Pinçon-Charlot, les deux sociologues du Voyage en grande bourgeoisie et des Ghettos du gotha. rsz_alcesteg-rjeanlouisfernandez102Une mention spéciale revient aux lumières de Marco Filibeck qui savent transfigurer le décor (identique durant toute la pièce) en passant de la nuit orageuse au petit matin désespéré, du clair-obscur funèbre aux mystères des rivages des enfers. Les chœurs de Philip White font une nouvelle fois la preuve de leur talent, d’autant que leur prestation n’est pas uniquement vocale : en chemise d’hôpital et démarche de zombie, ils forment au dernier acte une armée infernale à la chorégraphie à la fois angoissante et émouvante.

La toute fin de la pièce (que l’on ne racontera pas) tire profit de la mélancolie des dernières mesures pour infléchir le livret dans un sens plus tragique ou, sur le plan théologique, plus sceptique. Cette initiative de la mise en scène, qui contribue à renouveler le sens de l’œuvre, est elle aussi une belle idée.

Carmen S.

 

© Jean-Louis Fernandez