un-homme-revolte 1« Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un Homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. » Qu’il est bon de se remettre en mémoire les premières phrases qu’Albert Camus a écrites dans L’homme révolté. Parce qu’il semble bien que désormais, dans le langage commun dicté par le brouhaha médiatique, le terme de révolté ne désigne plus que celui qui dit non sans autre arrière-pensée – ou sans pensée tout court – de refuser ce qu’on lui impose, pour le simple plaisir de refuser. Comme un adolescent qui enverrait tout balader pour faire chier. Comme un acte de puérilité face à la résignation ambiante mais nécessaire.

Ainsi les manifestants casseurs sont forcément des délinquants, quand ce ne sont pas des voleurs en puissance. Effectivement on a le droit de se poser la question d’un refus qui ne semble prendre que la forme de la violence mais la question doit plutôt être la suivante : pourquoi en arrive-t-on à une telle extrémité ? Et au lieu de condamner, comprendre ce qui a amené à péter une vitrine, à tirer quelques gadgets électroniques qui seront revendus plus tard, contre autre chose. On ne pardonnera pas à un émeutier d’être un voleur ce qui fait qu’on lui refusera toujours le noble et presque romantique « statut » de révolté, le renvoyant à sa condition sociale, à sa misère et à ses frustrations, face à une société où pour exister il faut paraitre, donc avoir les moyens d’exister. C’est aussi oublier que tous les changements importants se sont fait dans la violence, ce qui inclut pillages, destructions voire même bains de sang.

un-homme-revolte 3Mais on nous dit également que personne ne veut que ça change et que l’immobilisme actuel de notre pauvre petite société est le plus grand de tous les maux. Le changement et les réformes semblent donc nécessaires et inévitables, tout le monde se devrait d’accepter leur principe et ne jamais s’y opposer. Admirez le (faux) paradoxe : on condamne le manifestant rebelle tout en affirmant que le changement, c’est maintenant. Encore faut-il comprendre ce que l’on tente de nous imposer sous le vocable de changement, une fausse évolution qui n’est ni plus ni moins que l’accroissement de l’emprise des principes ultralibéraux sur l’économique et le social, jusqu’à son intrusion dans les sphères de plus en plus privées – ce qui est, n’en doutons pas, le signe évident d’un totalitarisme qui ne dit pas son nom. Etre un « casseur-délinquant » – et non pas un « révolté-progressiste » ! – c’est donc aussi vouloir que les choses évoluent dans un autre sens que celui dicté par l’économique et le pouvoir… Je vous ferai grâce de toute affirmation qui serait aussitôt interprétée comme paranoïaque et conspirationniste mais que penser d’un mode de fonctionnement admis où le lobbying est devenu une activité ayant pignon sur rue, une activité visant le plus souvent à privilégier les intérêts de quelques happy few au détriment de l’intérêt général ? Et fi de cette hypocrisie de l’intérêt général contenu dans la somme des actions nées des intérêts particuliers : je ne crois pas plus au dogme de la main invisible d’Adam Smith qu’en Jésus multipliant les pains pour nourrir ses disciples rachitiques.

Mais, alors, qu’est devenu l’intérêt général si ce n’est l’acceptation d’un renoncement systématique ? Ce qui hier semblait encore anormal et injuste est aujourd’hui devenu une norme obligatoire. Combien de fois ai-je entendu cette phrase qui à chaque fois m’horripile : « mais que veux-tu, maintenant c’est comme ça et on n’y peut rien » ? Et de vouter le dos et les épaules, affirmation même pas honteuse de sa propre servilité… Cet impératif du changement imposé est entériné avec un fatalisme déconcertant et la discussion, écourtée, aboutit toujours à la même conclusion, puisque je ne peux que rarement cacher ma colère et que l’on me répond alors que « ce n’est pas parce que tu t’énerves que tu as raison ». Me voilà donc, toutes proportions gardées, remisé moi et ma colère dans la même case que les casseurs des grands boulevards ou les empêcheurs de tourner-en-rond qui occupent les essentielles Zone A Défendre (Notre Dame Des Landes, la zone humide du Testet/barrage de Sivens en sont les exemples les plus dramatiquement médiatiques).

un-homme-revolte 2Mais il y a pire. Depuis l’effondrement du communisme soviétique et l’avènement – par défaut, affirmons-le – du capitalisme comme seule option économique et sociétale dominante, toute critique divergente du système-capital est devenue obsolète pour ne pas dire obscène. On ne peut même plus défendre une opinion socialiste – au sens historique du terme – ou marxiste sans être raillé (je rappelle que le marxisme est à la base une analyse parmi tant d’autres du capitalisme et dont les dérives léninistes puis staliniennes n’enlèvent rien à la pertinence de certains raisonnements, notamment en ce qui concerne la contradiction entre accumulation du capital et croissance économique).
Malheureusement la seule « contestation » qui a aujourd’hui pignon sur rue et accumule des parts d’audience dans les médias et les crèmeries est celle des fachos. D’un côté il y a les réactionnaires type Zemmour qui réclament un retour aux vraies valeurs que seraient le patriarcat, l’amour de la patrie, la béatitude dans le travail et la défense de l’identité nationale ; de l’autre il y a des Soral qui rameutent les désemparés à grands coups de démagogie faussement prolétarienne et d’antisémitisme rance. La différence est que lorsqu’un Zemmour passe à la télé et vend consécutivement quelques centaines de milliers de livres, un Soral fait sa propagande sur internet pour ratisser tout autant.

Rémi Fraisse, lui, agissait sur le terrain et mu par ses convictions, tel un homme révolté au sens où l’entendait Camus, c’est-à-dire porteur d’une vision positive d’un avenir possible, contre ce que, en toute honnêteté, il jugeait être injuste et donc inacceptable. Il a malheureusement trouvé la mort, victime de ce qu’il convient d’appeler un crime d’état. La vraie révolte ce n’est pas se contenter de polémiquer sur des forums, d’alimenter des sites internet, de poster des statuts facebook, d’éteindre sa télé ou sa radio et de voter avec bonne conscience et par défaut, en espérant se débarrasser d’un roquet autocrate pour récupérer un mollasson social-traitre mais de bouger, de sortir de chez soi et de soi. Et de continuer à le faire. Les héros du peuple sont immortels, ce sera pour plus tard : pour l’instant, il convient que toutes et tous prennent bonne mesure et exemple du combat de Rémi, héro malgré lui et révélateur d’un monde qui vit dans le mensonge organisé et se nourrit (provisoirement) de son propre effondrement.

 

Hazam.