Welcome to Sarajevo : Morituri te Salutant !

Un film tourné nerveusement, caméra au(x) poing(s), quasiment en mode documentaire, avec des balles qui fusent au-dessus de nos têtes. Des images écarlates souvent insoutenables ; celles d’une population prise en otage sans jamais savoir de quoi demain sera fait. Le drame qui couve à chaque coin de rue comme si on y était. Notamment sur la maudite mais légendaire « Snipers Avenue » : l’occasion pour nous de se replonger dans l’enfer du siège de Sarajevo vingt cinq ans après. Et justement parce que : on n’y était pas…

Ce long métrage – Sympathie pour le Diable – signé de Guillaume de Fontenay, est un témoignage in situ pour le moins bouleversant du plus long siège d’une ville (1992-1995) à l’époque moderne… Adapté du livre de Paul Marchand au titre éponyme (Éditions Florent Massot, 1998) ; un des premiers journalistes à se rendre sur place à l’époque et dont la devise ornait, non sans un vrai sens de l’humour noir, l’avant de sa vieille Ford Sierra : « Morituri te Salutant ! ». Avé Caesar.

Un vrai « film d’auteur » qui vous secoue de l’intérieur en touchant du doigt ce métier de reporter de guerre : en l’espèce intègre, humaniste voire jusqu’au-boutiste. Et qui vous interroge au delà de l’absurde quant à l’incroyable inaction des casques bleus face à la terreur serbe imposée aux 400 000 habitants de Sarajevo. On va dire : à voir absolument. Sans qu’il soit pensable d’en ressortir indemne.

Quand bien même j’avoue que je n’ai pas forcément adhéré ou simplement compris son titre ; peut-être parce que je ne peux avoir de compassion pour ce diable-là. Je sais en revanche que certains dirigeants européens et/ou de l’OTAN pouvaient en avoir à l’époque pour les Serbes et spécialement d’un point de vue géopolitique (la Grande Serbie) ou historique (Partisans vs nazis). Alors me voilà réduit à changer un mot de la chanson des Stones, pour enfin m’y retrouver :

« I shouted out Who killed Sarajevo ?

When after all, it was you and me… »

Laurent Zine

Bande annonce (https://youtu.be/ehfyXJ_dTfM). Encore à l’affiche à la Fourmi à Lyon et au Mélies à Sainté.

L’actualité de ce film est également l’occasion pour le Zèbre de republier un article initialement paru en avril 2012 alors que l’Union Européenne venait de se voir attribuer le prix Nobel de la Paix

Tous les chemins mènent à Sarajevo

Bonjour chez vous et bienvenue dans l’espace Schengen des nations européennes, vingt ans après le bombardement du parlement bosniaque à Sarajevo, le 6 avril 1992.

Et du monde aux Balkans, il y en a toujours eu depuis le début du 20e siècle et la dislocation de l’Empire Ottoman, pour analyser après coup le pourquoi du comment de sempiternelles guerres Balkaniques, tout en s’empressant de satelliser cette zone géographique aux frontières sud-orientales de l’économie politique occidentale. C’est-à-dire en oubliant volontairement que ce qui se tramait (et se trame) sur place était symptomatiquement parlant, représentatif de toute l’Histoire Européenne. Annonciateur il y a cent ans de la grande boucherie de 1914-1918 et symbolisant depuis la fin du monde bipolaire en 1989, le retour en force des vieux démons du nationalisme exacerbé, comme avant la Seconde Guerre mondiale. Amen. Tout le monde descend.

De vieux démons ressurgis lors du démantèlement de la Yougoslavie, à Srebrenica, Mostar ou à Sarajevo même ; là où l’on célébrait les Jeux Olympiques d’Hiver en 1984 et où, huit ans plus tard, l’Europe allait accepter en son sein plus de trois années durant, le siège d’une ville bigarrée par quelques snipers serbes virtuoses et adeptes de l’épuration ethnique. Le siège d’une culture historiquement propice au métissage, comme personne n’avait et n’aurait osé le faire sur ce continent, depuis les opérations de « purification raciale » entreprises par les nazis et leurs joyeux sbires. Dont acte. Mais métissage toujours quand on sait que Jovan Divjak, le général alors en charge de la défense de Sarajevo était lui-même né à Belgrade en Serbie. Pied de nez à l’histoire et aux rêves de Grande Serbie, camouflés pendant plus de quatre décennies titistes.

C’était il y a tout juste 20 ans, et nonobstant la rediffusion récente de ce documentaire sur ARTE justement baptisé Sarajevo mon Amour, j’ai la nette impression que tout le monde s’en contrefiche et/ou a la mémoire courte… Et voici que les droites populistes, nationalistes et extrêmes font progressivement le carton plein dans les élections aux quatre coins de ce très vieux (in)continent européen : en Hongrie, en Suisse, en Italie, aux Pays-Bas et bien sûr bientôt en France etc. Triste époque, sans mémoire. La tolérance zéro portée au firmament de l’ambition politique, les barbelés de Schengen comme unique horizon panoptique. Bientôt tout près de chez vous et a fortiori en Ex-Yougoslavie. Dont la désintégration résume ainsi parfaitement à mon sens, toute l’histoire européenne.

D’où l’envie de relire inlassablement Balkans Transit, le magnifique essai sous forme de road trip de François Maspero, dont je vous livre un extrait : « Qu’on ne me parle pas d’une quelconque sauvagerie propre à je ne sais quelle particularité balkanique. Moi c’est bien d’Europe et d’Européens que je parle. […] Srebrenica a été aussi douce à vivre que Bellac et Dubrovnik plus facile que Naples. Les Balkans n’étaient pas, ne sont pas une parenthèse dans l’Europe, et s’il y a un abcès, il n’est pas balkanique mais européen ».

J’ai fais mienne cette pensée et j’aimerais en tirer quelques conséquences pour l’avenir. Mais voilà que le temps vire au gris – brun sur tout le continent et qu’il devient compliqué de croiser la route de quelques rayons de soleil… Il est pourtant plus que jamais nécessaire de se rappeler ce qui est arrivé pour simplement espérer éviter que cela n’advienne à nouveau. Revenir en Bosnie-Herzégovine. Traverser le pont (reconstruit) séparant Mostar. Revoir l’ancien bâtiment du parlement à Sarajevo. Aujourd’hui lui aussi « raccommodé ».

Et pas seulement parce que cela fait sens dans ma mythologie personnelle. D’origine grecque pour moitié, j’ai eu traversé la Yougoslavie pour me rendre en Thessalie peu de temps avant le début de la guerre. Alors qu’un serbo-pyromane nommé Slobodan Milosevic, s’amusait déjà à jouer avec des allumettes ultra nationalistes. Et que son alter ego croate Franjo Tudjman, allait lui répondre en ressortant le vieux drapeau à damiers Oustachi (aux couleurs simplement inversées), lors de la déclaration d’indépendance de son pays en 1991. Un blason, soit dit en passant, nous remémorant la 1ere République croate alliée des puissances de l’axe entre 1941 et 1945 ; sachant que le même Tudjman n’a jamais caché sa sympathie pour les thèses niant l’holocauste.

Mais entre Belgrade la serbe et Zagreb la croate, finalement peu touchées pendant le conflit, revenons aujourd’hui à Sarajevo. Où l’on parlait hier encore le serbo-croate…

« Nous arrivons à la Bibliothèque nationale en passant par un pont aux arches de pierre qui doit dater de l’époque Ottomane. Il ne reste plus que les quatre façades, la toiture s’est complètement effondrée sous une pluie de roquettes. Vu d’en bas, elle ressemble désormais à une toile d’araignée accrochée au bleu du ciel… À vrai dire, je ne m’attendais pas à un tel ravage. Pourtant je savais que l’histoire de l’humanité est marquée par tant de barbarie, d’incendies et de ruines. De l’incendie de la grande bibliothèque d’Alexandrie jusqu’aux livres brûlés par les nazis, en passant par les autodafés de l’Inquisition dans toutes les villes d’Europe… Mais à Sarajevo, on a voulu délibérément anéantir la culture d’un peuple et effacer sa mémoire de la surface de la terre. »

In Retour dans les Balkans de Nedim Gürsel (Éditions Empreinte. 2012)

Extrait d’une « histoire vraie » méditerranéenne (chère à François Beaune : www.mp2013.fr/histoiresvraies), racontée avec humilité par un écrivain turc grand voyageur de son état, profondément amoureux du brassage des cultures balkaniques, et justement marié à une femme grecque…

Quant à la culture que les tchetniks serbes rêvaient d’effacer en l’espèce, c’est bien sûr celle de ces slaves du sud (serbes compris) qui se sont nonchalamment mélangés à travers les siècles, pour finalement devenir entre autres musulmans ou simplement athées sous l’empire Ottoman. Hier Bosniaques. Et aujourd’hui regroupés sous l’appellation Bosniens.

Entre 1992 et 1995, nombre de mes amis proches se sont rendus en Bosnie avec des convois humanitaires ravitaillant Mostar et Sarajevo, et/ou avec la FORPRONU pour essayer de créer des zones tampons… Ils en sont revenus à jamais changés. Bouleversés bien sûr. Mais aussi en colère et ce, pour l’éternité. Je pense ainsi aujourd’hui à mon pote de toujours Samir Benderradji : RIP Bro.

J’avais moi-même choisi de raconter une « histoire vraie » concernant cette guerre en Ex-Yougoslavie avec le siège de Sarajevo en point d’orgue, notamment à travers leurs témoignages. Sauf que… les témoignages vont souvent dans le même sens, entre incompréhension, horreur et surtout impuissance. Face à la Poudrière des Balkans vu de près. Ou plutôt devant un bon résumé de toute l’histoire européenne du 20e siècle ; un siècle commençant et se terminant justement à Sarajevo par un bain de sang, nourri aux nationalismes exacerbés et aux rêves de nettoyage ethnique.

À ce propos, je ne saurais trop vous conseiller de visionner Warriors – l’Impossible Mission : une fiction de Peter Kosminsky produit par la BBC tournée elle-aussi comme un documentaire, et relatant l’enfer à travers les yeux de jeunes soldats britanniques envoyés sur place en tant que casques bleus.

À un moment, où le journal Libération titrait judicieusement : « L’ONU : à quoi ça serbe ? »

Teaser (https://youtu.be/Up6zwe_pKsM)

La Poudrière des Balkans… Si l’on en croit nos manuels scolaires, le territoire historiquement le plus déchiré de notre continent : frontière entre Occident et Orient mais aussi entre les anciens empires (Austro-hongrois, Ottoman…), espace du schisme chrétien (entre catholicité latine et orthodoxie byzantine) et du conflit entre Islam et Chrétienté (matérialisé, surtout pour les Serbes, par la bataille du Kosovo au 14e siècle…), ligne de fracture entre l’Est et Ouest via les vestiges encore bien vivaces des idéologies et des idées de nation héritées du 19e puis du 20e siècle. Et ce, nonobstant que l’ex-Yougoslavie fédéraliste de Tito était chef de file des pays « non-alignés ». Face à Washington ou à Moscou, c’est-à-dire aux slaves du nord. On pourrait également évoquer économiquement parlant, une opposition Nord-Sud, sachant qu’il s’agit-là des pays les plus pauvres d’Europe : Bosnie, Albanie, Kosovo, Serbie, Roumanie, Grèce etc. Des Balkans ainsi déchirés hier, et qui se regardent encore aujourd’hui en chiens de faïence à Mostar, au Kosovo, à Skopje, mais aussi en Hongrie ou en Roumanie (etc.), où les conflits inter ethniques, inter religions, inter ce que vous voulez… sont toujours latents.

Sauf que… À Sarajevo en ex-Yougoslavie, comme à Skopje en Macédoine ou Thessaloniki en Grèce (etc.) et dans tous ces anciens comptoirs de l’ex Empire Ottoman : les différentes communautés et religions avaient toutes le « droit de cité » et coexistaient depuis des lustres ! Mosquées, synagogues et églises étaient ainsi des siècles durant, voisines de palier à Sarajevo. Une ville très riche d’un point de vue culturel, où vivaient ensemble Bosniaques, Serbes, Croates, Albanais, Roms etc. Avant que les Tchetniks qui méprisaient justement cette association ethniquement et religieusement impure, organisent la mort lente de la ville pendant près de quatre années.

Ainsi, entre 1992 et 1995, c’est peut-être bien une certaine idée de l’Europe qui est morte à Sarajevo ; une Europe à qui l’on décerne aujourd’hui, non sans ironie, le prix Nobel de la paix… Une Europe qui pourtant accepta et accepte encore en son sein, les pires méfaits du nationalisme opposant les peuples. Une Europe où il ne fait certainement pas bon être Rom. Une Europe qui actuellement laisse mourir la Grèce, asphyxiée qu’elle est par les intérêts du remboursement de la dette européenne… Avant que ce ne soit le tour de ? Une Europe qui, à mon sens, devrait aujourd’hui symboliquement faire acte de mémoire en se rappelant le chemin de Sarajevo, et qui pourra ensuite et seulement à cette condition, se tourner vers l’avenir.

À bon entendeur.

Laurent Zine

PS : on entend souvent dire que la guerre a commencé lors d’un match de foot entre les Partisans de Belgrade et le Dynamo de Zagreb. C’est partiellement vrai. Il n’empêche que le sport, et parfois le foot en particulier, permet à des ennemis devenus héréditaires de se retrouver sur un terrain de « jeu ». Ainsi faudra-t-il à mon humble avis, organiser rapidement une réunion sportive européenne à Sarajevo. En profiter pour faire amende honorable. Aller se recueillir devant le mémorial de Srebrenica et le parlement de Sarajevo. Donner l’exemple d’une Europe à nouveau unie. Réconciliatrice comme elle a su le faire avec les ennemis héréditaires qu’étaient l’Allemagne et la France (cf. De Gaulle  -Heisenhower puis Mitterrand – Kohl), parce que c’était et c’est la seule façon de créer l’Europe Politique. Et non pas en laissant ce vieux continent frileux et désorienté, aux mains des nationalistes extrémistes et de banquiers sans foi ni loi. Une Europe qui donne le La, courageuse politiquement et non pas attentiste ou repliée sur elle-même et surtout soit-disant sans le pouvoir de… Une Europe qui pourrait peut-être ainsi retrouver son âme ? Cette âme européenne égarée dans les Balkans au siècle dernier et qui erre depuis à la recherche du temps perdu. Sarajevo mon amour.

Sarajevo

PS2 : Le 10 décembre dernier (2019), le prix nobel de littérature a été décerné à l’autrichien Peter Handke, non sans générer qq polémiques dans la presse balkanique, sachant que l’écrivain vouait jadis une sorte d’admiration déraisonnable à la Serbie de Milosevic… J’ai ainsi noté deux réactions parmi tant d’autres : « le Nobel décerné à Handke est un monument au désarroi européen, à l’âme humaine rongée par le principe du mal… » (Marko Tomas, poète Bosniaque). « la peur de ne pouvoir écrire de bons textes a transformé celui qui fût jadis un grand écrivain en vieux grincheux colérique ; un snob intellectuel et un colonialiste des contrées éxotiques à la périphérie de son Europe… » (Biljana Srbljanovic, dramaturge serbe). Merci pour eux. Je me sens moins seul maintenant ! Et vous, vous en pensez quoi de tout ça ?