La révolte des Handi-Canuts

Il y a d’abord le titre – Handi-Gang – et la couverture du roman – fauteuil roulant et drapeau noir sur fond rouge – qui vous claquent à la figure ! Il y a ensuite le style de Cara Zina : direct, efficace, hyper sincère et vraiment drôle ! Et puis le rythme qui va avec, disons un peu à la Despentes : mais quoi de plus normal que de vieilles amies partageant références et vécu (anarchisme, punk, rap, féminisme etc.) partagent également une façon de s’exprimer. De mettre en mots. D’ailleurs, ce style… c’est un peu « l’accent » de la Croix Rousse, où elles ont passé une partie de leur jeunesse et où se déroule l’action de ce roman ; ce qui rajoute à notre plaisir de gone des pentes. Et ce n’est sans doute pas un hasard que Cara Zina choisisse ce haut lieu de l’insurrection ouvrière comme décor de son histoire d’adolescents handicapés passant à « l’action directe » pour faire entendre leurs droits : droit à l’accessibilité des lieux publics, à être vus, entendus et respectés comme des personnes à part entière.

« Quand le proviseur lui a confisqué son fauteuil ultraléger à 4000 euros parce qu’il roulait trop vite, je m’étais un peu emballée et lui avais demandé, assez fort je le reconnais, s’il coupait les jambes à ceux qui courent dans les couloirs. »

Cara Zina

Ce livre est ainsi avant tout un manifeste, d’une humanité et d’une justesse incroyables. Et ne serait-ce parce qu’il est difficile, quand on est « valide / dans la norme », de se mettre dans la peau de personnes physiquement ou mentalement atypiques, d’appréhender véritablement leurs galères quotidiennes et leurs peines : non pas d’être différents mais d’être considérés par la plupart des gens comme des « non personnes » (1).

Avant ma lecture, j’avais un peu peur de la position que prendrait l’auteure, elle-même mère d’un enfant handicapé, tant j’ai pu constater que dans cette situation, ce sont souvent les parents qui souffrent « plus » que leurs enfants (…) et que cela génère parfois des témoignages déplacés. Alors je tire vraiment mon chapeau à Cara Zina, non pas parce qu’elle serait « courageuse » –  d’élever seule son fils, qualificatif qu’elle a d’ailleurs bien du mal à digérer – mais parce qu’elle nous dévoile son immense fierté de connaître ou de s’intéresser à des êtres exceptionnels à bien des égards, et qu’elle dégomme, l’un après l’autre et si intelligemment, tous les préjugés et incompréhensions des valides et autres « normo-pensants » sur le handicap et les handicapés.

« C’est une forme de ségrégation que nous subissons, nous ne pouvons toujours pas faire les études et les métiers que nous voulons, de nombreux endroits nous sont interdits de fait…  Mais qui est l’oppresseur ? L’Etat voyons, les valides : vous-mêmes, tous ceux qui profitent des installations inaccessibles sans les boycotter, tous ceux qui savent et qui ne font rien. Vous n’êtes pas aveugles, mais vous ne nous voyez pas ! »

Cerise sur le gâteau, ce roman vous colle souvent le sourire aux lèvres, quand il s’agit de partager la vie de Djenna, mère célibataire quarantenaire, n’ayant surtout pas envie de clôturer trop vite sa crise d’adolescence ! Avec en prime, une invitation à réfléchir à la portée et à la motivation de l’action directe : jusqu’où aller dans la radicalité ? Pour qui ou pourquoi ? Comment repérer et désarmer un « parasiteur de l’action » dans le groupe ? Et à l’arrivée, comment ne pas vieillir trop vite ? Comment garder la foi et la « rage » intactes ? Est-ce même seulement souhaitable ? Sachant toutes les misères liées au handicap que la « société » vous inflige, qui vous font grandir et vous responsabilisent plus vite que les autres.

« On a tous été ignorés, infantilisés, on a tous à un moment été déprimés d’inspirer la pitié ou le dégoût, et on a tous été confrontés à des gens qui savaient mieux que nous ce qu’on voulait, nous expliquaient comment on devait penser et agir. »

Je vous invite donc vivement à lire « Handi-Gang », parce que ce livre ne pourra que changer votre regard sur le handicap et donc sur le monde et ça, c’est un peu « l’année zéro de la rébellion » (cf. Bérurier Noir) !

On espère même que cela puisse vous donner des idées…

Libé-Lule

 

Cara Zina était à Lyon ce samedi 16 septembre à 20h, pour une lecture théâtralisée et musicale au Théatre sous le Caillou 23 rue d’Austerlitz, dans le 4e.

 

(1). « Etre une non-personne » : texte d’Amanda Baggs (autiste Asperger) cité dans Handi-Gang, à retrouver traduit intégralement dans www.zinzinzine.net, blog hautement subversif d’une dizaine de personnes psychiatrisées, étiquetées fous – folles au quotidien.