Rabah Ameur Zaimeche,

Hors-la-loi du cinéma Français

Tour à tour repris de justice, exilé, patron, bandit social et traître biblique, RAZ s’invente à travers des personnages métissant autobiographie et archétypes historiques et politiques. De l’exclusion à la lutte, du réel à la fiction, de l’histoire à l’Histoire, le cinéaste prend le maquis pour tracer sa route singulière, utopique, nécessairement engagée vers une marginalité de combat. Portrait d’un réalisateur / acteur à découvrir incessamment.

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D’abord, un monde clos

Les deux premiers films de RAZ dessinent un monde sans issue, de part et d’autre de la Méditerranée. Wesh wesh qu’est-ce qui se passe ? retrace le parcours d’un « double peine » qui, après cinq ans en taule et deux ans au bled – où il a été expulsé, revient chez lui à Montfermeil, cité des Bosquets (où le cinéaste a grandi après sa naissance, en 1966 en Algérie). Commence alors la galère d’un sans-papiers. Camel a beau vouloir se ranger des camions (la rouille, le deal, les coups) en trouvant un boulot honnête, y a pas moy’ : sans fafs, pas d’taf. Il suit alors le destin d’un gars traqué par l’infâme double peine. Un film visionnaire terminé en lieu et place juste avant les émeutes de 2005, un manifeste contre les crimes racistes et sécuritaires…

Sur le même thème musical, Bled Number One reprend les choses là où Wesh Wesh les a laissées. Travelling dans une rue d’une petite ville d’Algérie coincée entre la montagne et la mer. Peut-être Beni Zid, la ville natale de RAZ ? Retrouvailles, fêtes, traditions. Beaux plans d’une Algérie bucolique éternelle. Et puis très vite, l’impasse encore : les islamistes sèment la terreur, prennent en otage la vie sociale. Entre superstitions et fanatisme armé, les libertés disparaissent comme peau de chagrin ; le pays est saboté. Restent la folie ou la fuite en Tunisie comme seules portes de sortie. Le retour aux racines est impossible, l’impasse identitaire manifeste. Première collaboration avec un musicien qui deviendra un compagnon de route, Rodolphe Burger.

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Le troisième film, Dernier Maquis, semble être une œuvre pivot, où l’auteur pose avec finesse la   question de la place et de la pratique de l’islam dans la société française, via celle des hiérarchies, en religion comme au travail. Le patron d’une entreprise de palettes en banlieue parisienne doit répondre à la demande de certains employés d’avoir une mosquée et un imam. Entre culture prolétaire et pratiques religieuses intimes, quel est le prix de la paix sociale ? RAZ brasse ici des problématiques qui n’en finissent pas d’être actuelles, marchant dans les pas des grands créateurs marxistes que furent Renoir, Brecht ou Fassbinder.

Le pasteur d’un cinéma en colère

Après ces trois films ancrés dans le réel contemporain, films dominés par l’aporie, RAZ passe avec Les chants de Mandrin à l’Histoire et aux costumes. La grande histoire des brigands chère à Hobsbawm (cf. Les Bandits, Maspéro puis Zones). Objectif : se réapproprier l’histoire française dans les prémisses de ce qu’elle a de plus révolutionnaire, dans ce qui a fait sa grandeur à travers l’épopée des disciples de Mandrin. Des hommes qui firent communauté pour vivre hors-la-loi, œuvrèrent pour la justice sociale et inventèrent une utopie en marge des pouvoirs étatiques. Ce qui passa aussi par la nécessité d’élaborer la légende (la geste de leur modèle, Mandrin) et de la publier.

Histoire de Judas poursuit l’entreprise de revitalisation de l’Histoire entamée avec Mandrin. Sur une mise en scène sobre jusqu’à l’épure et un travail de lumières sauce hollandaise ou caravagienne. On songe à Pialat, à Pasolini, à Rohmer éventuellement. Il y a chez le cinéaste un profond sens du geste ainsi qu’un goût prononcé pour l’image qui se passe de parole. Et puis, toujours, l’amour de la nature et des grands espaces. On passe de « plans de perception » à des plans grandioses, de l’infime anecdotique à l’immuable. Judas apparaît, mal nécessaire, condition sine qua non du Christ, terriblement émouvant.

Marco Jéru