Peter Kernel

Peter Kernel

Printemps 2011 : Africantape est un label qui a le vent en poupe. Il organise à Lyon – avec l’aide précieuse du collectif Grrrnd Zero et de quelques énergumènes – un festival de trois jours dans lequel jouent tous les groupes signés par le label ; parmi ceux-ci on compte les vétérans noise américain de Big’N, les débiles d’Oxes, les italiens de Three Second Kiss et de Io Monade Stanca, les héros de Marvin, les pataphysiciens de The Conformists, les esthètes d’Extra Life, les dandys de The Cesarians, Honey For Petzi, Ned, Papaye… mais également deux groupes lyonnais spécialement invités pour l’occasion, le one man band Sheik Anorak et les salopards de Chevignon. La fête est presque totale et l’avenir d’Africantape s’annonce radieux. Or, personne ne le sait encore, mais cet avenir porte déjà un nom : Peter Kernel

Lorsque White Death & Black Heart parait en octobre 2011, peu de gens connaissent réellement Peter Kernel. Pourtant il s’agit déjà du deuxième album de ce trio basé en Suisse (Barbara, la bassiste/chanteuse, est canadienne), un groupe avec une belle histoire derrière lui, qui a monté son propre label On The Camper records pour pouvoir publier ses propres disques et qui donc coproduira White Death & Black Heart avec Africantape. Cet album, emmené par l’irrésistible bombinette Anthem Of Hearts (gravé sur un superbe 7’ monoface s’il vous plait) dévoile une pop noisy dont les mélodies à l’étrangeté à la fois âpre et sucrée font dire à certains qu’ils n’avaient pas écouté un disque aussi vivifiant et aussi subtilement enlevé depuis le Doolittle des Pixies… mais le groupe préfère lui-même se qualifier d’art-punk et c’est exactement de cela dont il s’agit. Depuis, Africantape a décidé de doucement tirer sa révérence, ralentissant ses activités, ayant peut-être le projet de renaître, ailleurs et sous une autre forme – une exposition consacrée aux visuels et à l’esthétique du label et intitulée Africantape 2008 – 2014 a même été organisée à Nantes – tandis que Peter Kernel, après quelques tournées et concerts remarqués, est retourné dans le relatif anonymat de sa Suisse chérie. Fin de l’histoire ?

 

Peter Kernel

Peter Kernel

Pas du tout. Thrill Addict, le troisième album de Peter Kernel a été publié le 19 janvier 2015, cette fois uniquement sur On The Camper records. Et je ne pouvais pas faire autrement, toutes affaires cessantes, que de me jeter dessus. Comme l’annonce la photo ornant la pochette du disque, Peter Kernel est désormais à nouveau totalement recentré autour du duo constitué par Barbara Lehnoff (chant, basse, composition, vidéo) et Aris Bassetti (chant, guitare, composition, graphisme, etc.). Thrill Addict semble également être un album plus intimiste, comme le suggère Ecstasy et Tears Don’t Fall In Space, respectivement premier et dernier titre du disque. On n’y trouve pas tout de suite des tubes aussi évidents qu’un Anthem Of Hearts ou qu’un Panico ! This Is Love qui illuminaient White Death & Black Heart. Pourtant le talent de composition, toujours très supérieur à la moyenne, est bel et bien là. Et c’est même encore meilleur qu’auparavant. Peter Kernel n’a strictement rien perdu de cette géniale capacité à combiner bizarrerie musicale et addiction mélodique. Et je n’ai pas peur d’exagérer en affirmant que le duo n’a que peu d’équivalant en ce bas monde : les popeux pleurnichards et sentimentaux, les filles à moustaches comme les amateurs de dissonances souples (les groupes indés US tels que les Pixies déjà mentionnés, Blonde Redhead jusqu’à l’album Melody of Certain Damaged Lemons et même Sonic Youth en pleine mid life crisis) peuvent aller se rhabiller.

 

2011 11 09_Peter Kernel_031Des chansons belles et fortes il y en a donc en fait plein sur Thrill Addict. Et plus on écoute le disque et plus on en découvre – Supernatural Powers ou Majestic Faya par exemple – comme si Peter Kernel avait d’abord voulu nous envelopper de sa douce mélancolie avant de nous porter l’estocade de l’efficacité. Et cependant, malgré la simplicité apparente de cette musique, rien n’est réellement si évident que cela dans le cheminement d’une composition de Peter Kernel. Prenez I Kinda Like It : voilà un titre parfait pour se trémousser, s’agiter tout en faisant de grands moulinets avec les bras mais il y a ce break en plein milieu, où la voix d’Aris semble vouloir nous emmener dans une toute autre direction. Il y a aussi le surexcité High Fever, qui a fait l’objet d’une vidéo : tout le monde lève (à nouveau) les bras au ciel et braille en même temps que Barbara pourtant la fête a un petit arrière-goût de dispersion (d’ailleurs elle s’achève presque en queue de poisson). Finalement, on reste surtout persuadés, via la complémentarité mutine de leurs chants respectifs, que Aris et Barbara sont plus que jamais deux partenaires, qu’il y a quelque chose de fusionnel mais aussi d’emmêlé dans leur façon d’envisager et de mettre en œuvre leur musique. Peter Kernel a donc toujours un avenir. It’s Gonna Be Great

 

Hazam.

 

 

Peter Kernel – Thrill Addict

Peter Kernel – White Death & Black Heart