Neige Morte

NEIGE MORTE . Ce nom plutôt tendance adolescent attardé et durablement influencé par les poètes maudits français du XIXème siècle est en fait celui de l’un groupe de metal parmi les plus perturbants du moment. Et pour tout vous dire, ce nom de Neige Morte est parait-il une référence à Dead Snow, film norvégien de 2009 et délicieusement parodique dans lequel des zombis nazis sortent de leur bunker-caverne afin de protéger un trésor de guerre oublié de tous mais désormais menacé par une bande de jeunes vacanciers aussi (d)écervelés que maladroits*. Baptiser son groupe du nom d’une énième pochade cinématographique débordant de clichés sanguinolents, exposant sans vergogne des monceaux de tripailles à l’air libre, pillant allégrement l’héritage d’Evil Dead et fort justement sous-titré « un bon nazi est un nazi mort ! », n’était, au départ, pas non plus le fait du hasard.

À la base Neige Morte est la réunion de deux musiciens lyonnais désireux de mettre en pratique leur amour pour le black metal le plus cru et le plus sale possible. Or il n’y a pas beaucoup de musiques aussi balisées que le black metal tout comme il n’y a pas beaucoup de musiques capables de générer autant d’élans complaisamment auto-parodiques : un peu comme si, lorsqu’on ne peut pas aller beaucoup plus loin dans un genre musical, la seule solution devenait de pratiquer l’hommage ironique et postmoderne. Trop de distanciation et de second degré débouchent malheureusement sur cette escroquerie intellectuelle et en complet porte-à-faux qui va à l’encontre de toute sincérité et d’un amour sincère de la musique, bien qu’en ce qui concerne le metal – surtout lorsque celui-ci est d’un noir aussi profond – parler d’amour est assurément une pure vue de l’esprit. Il n’empêche que de quelques discussions enflammées entre camarades est née cette idée forte de faire un groupe. Pour de vrai. Et à partir d’une simple blague qui aurait pu rapidement mal tourner et virer à la simple posture arty (oui, l’apprenti-métalleux n’est souvent qu’un poseur), nos olibrius ont bâti une cathédrale ascensionnelle perpétuellement en voie d’effondrement… ou inversement : un monde englouti dans un océan de boue et tentant désespérément de remonter à la surface.

Devenu trio avec l’arrivée d’un chanteur à grande gueule, Neige Morte s’est fendu d’un (trop) court premier album sans titre en 2010 chez Aurora Borealis puis a participé à un vinyle 10 pouces partagé avec The Austrasian Goat, autre entité spécialisée dans le metal maléfique (parution en 2011 chez Music Fear Satan). Deux disques dont le simplisme destructeur et l’archaïsme sonore collent parfaitement avec cette notion d’exutoire haineux et libérateur qui l’on associe toujours volontiers avec les musiques extrêmes. Les références au « true » black metal y sont malgré tout assez lointaines voire inexistantes, Neige Morte préférant d’ailleurs l’appellation de Noir Metal et mettant en pratique cette idée alors naissante de construire ses compositions comme des suites énigmatiques et d’apparence non logique de déflagrations, d’attaques lourdement tribales et de passages ambient. Il manquait peut-être parfois un peu de liant entre tous ces éléments pour que l’auditeur ne soit pas un peu largué en route mais, et c’était déjà l’une des principales qualités de Neige Morte sur ses premiers enregistrements, l’objectif semblait de rendre complètement fou qui aurait tenté d’écouter cette musique intensément…

Bicephaale est le nom du deuxième album que Neige Morte vient de publier sur le label belge Consouling Sounds . Un disque qui reprend les mêmes principes qu’auparavant tout en les accentuant plus que de raison : langage traditionnel du black metal vicié à la moindre occasion, vocaux entre incantations de démon hystérique et odes sacrificielles à Cthulhu, passages atmosphériques qui puent le souffre et la merde, paroles entre violence désabusée et noirceur, rythmiques impeccables (grâce à un nouveau batteur, du genre à être aussi bien expert en double-pédale qu’en martèlement de caisse claire), sons de guitares triturés, dissonants et comme projetés depuis le fin fond de fosses abyssales et, encore une fois, déstructurations labyrinthiques des compositions. Sur Bicephaale la musique de Neige Morte sent plus que jamais le charnier putrescent et la fosse à purin, rejetant toute idée de compromission et donc insistant sur ce que les plus frileux (conservateurs ? réactionnaires ?) se sont – à tort – risqués à pointer comme un défaut : cet éclatement musical permanent et cette volonté de noyer l’auditeur, de l’écarteler, de le malmener non pas en l’écrasant sous un rouleau compresseur (technique adoptée par à peu près 95 % des groupes de metal extrême) mais en le forçant à faire corps avec sa musique, en l’atomisant avec elle.

Neige morte

Il parait que persister est la marque des grands groupes. On peut reconnaitre à Neige Morte cette hargne, cet acharnement. Et, ces derniers temps, rarement un groupe n’aura aussi bien réussi à faire coller sa musique à ses intentions les plus profondes sans avoir recours (encore un défaut courant chez les groupes de metal) aux technologies glacées de l’enregistrement moderne et donc sans se transformer en mécanique rigide et finalement sans substance.
Au contraire l’entité Neige Morte est une machine de chair et de sang, une machine déviante et désaxée et le son de Bicephaale est aussi rude que nihiliste, pas très éloigné de cette puanteur que la musique décrit par ailleurs. Parler d’« entité » prend aussi réellement tout son sens avec ces trois musiciens uniquement désignés sur leurs disques par les initiales de leurs noms, non pas comme les corpse paints et les pseudonymes qui garantissent une aura pseudo surnaturelle aux musiciens de black metal traditionnel mais bien comme une volonté commune de se jeter corps et âme vers l’inconnu et l’innommable.

* en France Dead Snow est sorti directement en DVD chez Wild Side, pour regarder la bande annonce c’est par ici que ça se passe . Le réalisateur Tommy Wirkola a depuis réalisé Dead Snow 2 dont la sortie est prévue pour 2014. Seul l’avenir nous dira si faire une suite était une bonne idée ou pas… (en général la réponse est malheureusement non).

 

Hazam.