Les Castagnettes de Carmen # 21

Mefistofele à l’Opéra de Lyon du 11 au 23 octobre

Cette année encore, le début de saison sent le souffre à l’Opéra de Lyon. Après une excellente Damnation de Faust il y a trois ans, retour de l’ambiance infernale avec une nouvelle adaptation chantée du mythe de Faust, en l’occurrence celle d’Arrigo Boito.

Celle-ci est la moins célèbre, loin derrière celles de Gounod et de Berlioz. La faute sans doute à quelques difficultés de construction. Dans sa toute première version, la pièce durait cinq heures et connut un échec cuisant lors de sa première représentation à Milan en 1868. Furieux, l’auteur brûla une partie de sa partition avant de la reprendre et de connaître finalement le succès lors de la création d’une version resserrée en 1875. Malgré ces coupes, l’intrigue reste fidèle au récit de Goethe : le docteur Faust vend son âme au diable, rencontre et séduit la belle Marguerite, se livre à toutes les débauches au sabbat et finalement meurt en bénéficiant de la rédemption céleste. Mais le quatrième acte, celui du « sabbat classique » pendant lequel Faust rencontre Hélène non loin des ruines de Troie, apparaît quelque peu décalé dans le récit, comme si Boito n’avait pu se réduire à supprimer un passage de fort belle musique d’une œuvre où il n’était peut-être plus indispensable.

La partition, de plus, n’offre guère d’airs véritablement marquants, et si le chant d’Hélène ou le duo de séparation de Marguerite (Evgenia Murareva) et Faust (Paul Groves) livrent de beaux moments, ce sont les chœurs et la maîtrise de l’Opéra (comme d’habitude impeccables) qui se taillent la meilleure part. C’est en fait du côté de l’orchestre, dirigé par Daniele Rustioni, que l’on trouve les principaux morceaux de bravoure musicaux, dont en premier lieu la paroxysmique nuit de sabbat du deuxième acte qui, à elle seule, justifie toute l’œuvre.

Le livret offre lui aussi quelques pépites, notamment dans le prologue qui voit un Méphistophélès patelin dialoguer en toute simplicité avec la puissance divine (« De temps à autre j’ai plaisir à voir / Le Vieux et je fais très attention à ne pas / Me brouiller avec lui ; c’est beau d’entendre l’Éternel / Parler avec le Diable avec tant d’humanité »). Méphisto lance à son antagoniste le pari qu’il parviendra à prendre Faust dans ses filets — pari relevé par Dieu, qu’on ne savait pas si joueur.

De fait, et comme l’indique le titre, Méphisto est bien le personnage central de l’œuvre, aux dépens d’un Faust plutôt effacé et finalement jouet de forces qui le dépassent. C’est ce qu’a parfaitement compris Alex Ollé, qui signe la mise en scène, en faisant du démon une sorte de lointain cousin du Javier Bardem de No Country for Old Men. Il est servi dans cette ambition par l’impressionnante présence vocale et physique de son interprète John Relyea, dont le jeu inquiétant devient poignant dans le final.

L’œuvre, enfin, est accueillie comme dans un écrin par des décors (Alfons Flores), des lumières (Urs Schönebaum) et des costumes (Lluc Castells) dont l’exubérance (scène du sabbat, avec ses sorciers maculés et couverts de peaux de bêtes, ou de l’Attique, avec ses girls emplumées façon Crazy Horse) sait se faire dépouillement lorsque le récit l’exige (mort de Marguerite et final, notamment).

Dans Simon du désert, Luis Buñuel suggérait que l’enfer était une interminable soirée en boite de nuit. Alex Ollé le rejoint en nous persuadant qu’une nuit de sabbat ne saurait se passer de boule à facette. Lorsque celle-ci illumine comme ici la salle de l’opéra, c’est pour notre plus grand bonheur.

Carmen S.

 

© Jean-Louis Fernandez

© Mar Florès Flo