Karcavul

Karcavul

À Lyon, ces deux derniers mois ont été particulièrement chargés pour les amateurs de musiques souterraines. Il ne s’est pratiquement pas passé une seule semaine – un seul jour ! – sans qu’il y ait un voire plusieurs concerts explosifs à se mettre entre les oreilles : du punk, du garage et du noise-rock dans les caves de la Croix Rousse ; la programmation toujours aussi intéressante du Sonic et du Périscope ; et bien sûr les concerts tous azimuts de Grrrnd Zero hors les murs, histoire de continuer à occuper le terrain en attendant l’ouverture d’un nouveau lieu, si tout va bien au mois de septembre 2015. La fin de l’année étant généralement un peu moins propice aux débordements ultra-soniques, on ne peut donc que se réjouir d’une hyperactivité qui démontre – malgré les évidentes difficultés financières, matérielles et politiques – l’investissement musical et (souvent) militant de celles et ceux qui y croient encore. Et ils ne sont apparemment pas les seuls, puisque le public suit et s’entasse joyeusement, aussi bien dans des lieux parfois improbables et alternatifs que dans d’autres, plus officiels.

Exemple de cet intense bouillonnement, la soirée du vendredi 28 novembre : au dessus d’une ville qui fêtera bientôt les lumières de Dieu et remerciera Sainte Marie d’avoir inventé le concept de grande messe culturelle populaire, les cars de touristes en route vers la joie et l’extase collective, les astres vont à nouveau converger dans le ciel pour dessiner la carte funeste d’un parcours sinueux et maléfique. Première étape sur la piste aux étoiles avec Shield Your Eyes. Le trio anglais est de retour pour son habituelle tournée annuelle avec escale à Lyon et un sixième album sous le bras, du nom de Reciprocate (et une nouvelle bassiste dans le line-up). Je n’ai pas grand-chose à rajouter à ce que j’ai déjà écrit sur le groupe à l’occasion de sa précédente venue par ici sauf qu’il a toujours autant la classe, entre fureur blues noise et fragilité incandescente. Tels deux twin brothers/partners in crime, le chanteur/guitariste/lutin électrique Stef Ketteringham et le batteur Henri Grimes (non moins survolté) continuent avec Reciprocate de réactualiser le blues-rock anglais des 60’s et l’émotion à fleur de peau, sans commettre l’erreur du pastiche commémoratif. Shield Your Eyes n’a rien d’un groupe revivaliste, au contraire il s’agit d’un groupe vivant et dont le terrain de prédilection reste la scène, comme il le prouvera à nouveau le 28 novembre prochain au Périscope, 13 rue Delandine, Lyon 2ème.

Shield your eyes

Shield your eyes

Il parait que cette année Lyon fête le centenaire de la Halle Tony Garnier. L’édifice qui, rappelons-le, était à l’origine était un immense marché aux bestiaux, a en 1988 été reconverti en salle de concerts et d’expositions. Il s’agirait même de la deuxième plus grande salle de concerts de France, juste après l’ignoble Palais Omnisport de Paris Bercy ; de l’abattage de bovins aux concerts de masse, on peut dire que la tradition est respectée. Bref, pour célébrer ce centenaire la Halle coproduit une série de concerts dans des salles lyonnaises beaucoup plus petites et plus confidentielles telles que le Périscope, le Marché Gare ou l’Epicerie Moderne de Feyzin – comme si la crédibilité et le bon goût (ahem) pouvaient s’acheter au rayon fraicheur. Profitant également de cette opportunité et de cette manne financière, le Sonic (5 quai des Étroits, Lyon 5ème) réalise enfin l’un de ses vœux les plus chers (sic) en programmant le trio allemand Radian qui est l’un des rares exemples de groupes des années 2000 à avoir réussi le passage d’une musique électronique et minimaliste à quelque chose de plus ample et de plus rythmique, un peu comme si This Heat et Oval avaient fusionné pour atteindre le stade ultime de la grâce moderniste. Radian n’a jusqu’ici donné qu’un seul concert à Lyon ; c’était en 2003 et au [kafé myzik], désormais Kraspek Myzik, à une époque où les concerts se déroulaient à l’étage. Et même si Stefen Németh a depuis quitté le groupe pour être remplacé par Martin Siewert – déjà compagnon de route du batteur Martin Brandlmayr au sein de Trapist, autre groupe chaudement recommandable – gageons que Radian n’aura rien perdu de sa magie électromagnétique et interstellaire.

Toujours le 28 novembre et à deux pas du Sonic, Aux Bons Sauvages (2 quai Jean-Jacques Rousseau à La Mulatière – à la limite de Lyon 5ème) accueillera également une soirée de choix. Mais commençons par le début : Aux Bons Sauvages c’est au départ un restaurant où on mange merveilleusement bien, il y a un vrai cuistot derrière les fourneaux (testé et approuvé) et c’est aussi un lieu qui a décidé d’organiser ou d’accueillir des concerts sous sa belle voute en pierres apparentes. Celui du 28 novembre ne sera pas des moindres avec les américains de Hank Wood & The Hammerheads qui pratiquent un punk débraillé et le cul entre ce bon vieux hardcore viscéral et quelque chose de plus garage et mâtiné d’un synthé obsessionnel. Go Home !, le deuxième album du groupe, est un pur concentré d’énergie débordante, à la fois graisseuse et sévèrement vindicative. Détail qui ne gâche rien, les lyonnais de Karcavul ouvriront pour ce concert. Même si le nom du groupe fait penser à une mauvaise blague de geeks accrocs à l’heroic fantasy roublard et au porno entre hommes des cavernes, il ne faut pas se fier aux apparences : Karcavul c’est du metal obscurantiste, quelque chose comme du death doom façon autopsie en temps réel sur victimes pas tout à fait mortes. Comme un fabuleux trou noir, avant la chute éternelle dans le grand vide.

 

Hazam.