Festival Verdi à l’Opéra de Lyon : Don Carlos du 17 mars au 6 avril et Macbeth du 16 mars au 5 avril

Cette année, l’Opéra de Lyon célèbre Giuseppe Verdi pour son traditionnel festival de début de printemps, avec trois œuvres majeures : Attila (en version de concert), Don Carlos et Macbeth. N’ayant pu assister à la première, je ne traiterai que des deux autres, présentées en alternance — ce qui offre l’opportunité de les comparer.

Don Carlos, le bûcher des regrets

Don Carlos, c’est donc l’histoire de l’infant Carlos (Sergey Romanovsky), héritier du trône espagnol tout frétillant de rencontrer enfin sa promise Elisabeth (Sally Matthews), la fille du roi de France Henri II. Leur union est destinée à mettre fin à la guerre qui ravage leurs deux pays mais, coup de chance pour un mariage arrangé, l’amour est de la partie. Les deux tourtereaux roucoulent joliment au début du premier acte jusqu’à l’annonce traumatique qu’il y a eu tromperie : c’est avec Philippe II, le père de Carlos, qu’Elisabeth doit en réalité convoler. Le « oui » avec lequel elle accepte cette union, et renonce par devoir à son amour pour Carlos, est un grand moment pathétique.

La suite de l’intrigue découle de cette déchirure inaugurale. Sur le conseil de son ami Rodrigue, Don Carlos essaie de se consoler en partant guerroyer en Flandre, tandis qu’Elisabeth se résigne tristement à son rôle de reine (et, statutairement, de « mère » de Carlos, la tentation de l’adultère se combinant ici à une forme d’inceste). Résolution fragile, bien évidemment, d’autant que la conversion de Carlos à la cause flamande l’amène à s’opposer violemment à la tyrannie paternelle et que la princesse Eboli, qui est amoureuse de lui, conspire à la cour pour compromettre la reine.

Don Carlos entrecroise donc le drame amoureux avec une charge politique contre l’absolutisme et l’intolérance. Un des grands moments de l’œuvre est, à l’acte 3, la scène de l’autodafé voulu par le Grand inquisiteur (Roberto Scandiuzzi), qui assiste à l’affrontement éminemment œdipien entre Carlos et Philippe II. Christophe Honoré, qui signe la mise en scène, a eu la bonne idée de maintenir le ballet (très) festif du deuxième tableau de l’acte 3 et d’en confier la chorégraphie à Ashley Wright, pour faire ensuite figurer les danseurs en condamnés au bûcher. C’est l’une des meilleures initiatives d’une mise en scène finalement assez sage qu’on aurait pu espérer plus imaginative ; le choix de décontextualiser l’œuvre est tout à fait légitime mais ne débouche pas, ici, sur une lecture très affirmée. On aurait par exemple apprécié que l’ambivalence ou la complexité de certains rôles soit davantage soulignée. Si l’Eboli d’Eve-Maud Hubeaux révèle ce qu’il faut de perversité comme de fragilité, si l’on sent vaciller l’absolutisme de Philippe II (Michele Pertusi, poignant au début de l’acte 4), l’ambiguïté de l’attachement de Rodrigue (l’excellent Stéphane Degout) pour Carlos méritait sans doute un peu plus d’audace.

 

Macbeth ou les sorcières de Wall Street

De l’audace, on en trouve davantage dans la mise en scène de Macbeth que propose Ivo van Hove. Elle lui attirera sans doute le reproche de facilité : transposer l’intrigue shakespearienne à Wall Street, et faire du régicide écossais un clone du patron de Lehman brothers, pourrait a priori paraître naïf ou démagogue. Pourtant, ça fonctionne, du fait de la distance ainsi introduite avec les aspects les plus noirs de l’œuvre : les cadres supérieures en tailleur et talons composent un troublant cercle de sorcières (les chœurs féminins de l’Opéra sont comme toujours admirables), l’héritier légitime Malcolm (Louis Zaitoun) témoigne d’une simplicité discrète et Macbeth n’est pas tué mais fait, accablé, l’objet d’une attention bienveillante de la part de ceux-là même qui l’ont vaincu.

La mise en scène est en outre servie par le décor de Jan Wersweyveld, identique de bout en bout mais inventif en diable : les écrans d’ordinateurs se livrent à une folle danse de chiffres ou passent des dessins animés (sur le thème de la sorcière, of course), les meurtres de Duncan et de Banquo sont visibles en négatif en fond de scène et l’open space bancaire est finalement ravagé par l’intrusion joyeuse des protestataires du mouvement Occupy.

Les deux rôles principaux (Macbeth et sa lady) sont respectivement interprétés par Elchin Azizov et Susanna Branchini qui savent parfaitement rendre ce que leurs personnages recèlent d’ambition hallucinée, de folie meurtrière et d’angoisse coupable ; leur duo de la fin de l’acte 3 est un des grands moments de cette saison. Roberto Scandiuzzi, encore lui, joue cette fois un Banquo déchiré par sa double fidélité, à son souverain Duncan et à son ami Macbeth, dont il reviendra hanter les nuits.

Et l’orchestre ? Il est à chaque fois dirigé par Daniele Rustioni avec une subtilité et une retenue que l’on ne peut que saluer. Avec un tel chef, le répertoire verdien est promis à de belles soirées à l’Opéra de Lyon puisque c’est un Nabucco sous sa direction qui est annoncé pour la saison prochaine.

Carmen S.

 

Photos Don Carlos : ®jeanlouisfernandez

Photos Macbeth : ©Stofleth