esprit-es-tu-la 2Avec One Lick Less tout est question d’équilibre. Je ne m’apprête surtout pas à vous expliquer que ce duo basé à Paris pratique le consensus mou et ne saurait agir sans une certaine modération mais – bien au contraire – que ces deux musiciens ont suffisamment d’expérience pour transformer leurs éventuelles limites en tremplins pour leur esprit d’aventure/d’ouverture et que, de façon totalement logique et complémentaire, leur formidable désir d’inconnu et d’ailleurs les pousse sans cesse hors de leurs chasses gardées habituelles. N’allez cependant par croire que la musique de One Lick Less et en particulier Spirits Of Marine Terrace , le deuxième album du groupe, n’est qu’un beau concept de musiciens certes talentueux mais imaginatifs uniquement par calcul : cette musique est avant tout d’une liberté tenace, d’une élégance folle et d’une beauté à la fois brute et raffinée (de l’équilibre, toujours…).

esprit-es-tu-la 1Tiens, commençons par l’instrumentation un peu particulière utilisée par One Lick Less. Julien Bancilhon a fabriqué lui-même ses guitares lapsteel. Il s’en sert avec un discernement quasi virtuose, les doigts munis d’onglets métalliques, et toute la finesse virevoltante de son jeu contraste avec l’aspect presque rudimentaire de son instrument et des sonorités à la fois rugueuses et chaudes qu’il en tire. Julien joue également parfois de la guitare avec une sensibilité qui ne semble appartenir qu’à lui et il chante avec une sorte de lyrisme intérieur et certes un peu maladroit lorsqu’il estime qu’il a quelque chose à dire autrement qu’avec la magie de ses dix doigts.
Basile Ferriot a lui un lourd passé de cogneur fou – il est également batteur dans Xnoybis, groupe de hardcore à masse volumétrique variable – et il développe un jeu de batterie et de percussions tentaculaire. Pourtant il n’en fait jamais trop et insiste sur le côté quasi mélodique de ses instruments/outils en leur insufflant mille nuances : cymbales frottées à l’archet, objets roulant sur les peaux de ses futs et, particularité au dessus de toutes les autres, il n’utilise pas de grosse caisse mais un tom basse posé à plat et qu’il frappe par en dessous à l’aide d’une pédale ; mais il peut également et en même temps jouer sur ce tom avec ses baguettes et ses balais et réussir ainsi à en tirer des résonnances vibratoires qui là aussi n’appartiennent qu’à lui. Une véritable trouvaille.

esprit-es-tu-la 3La musique d’One Lick Less est plus étrange encore que ce descriptif, un peu trop technique peut-être, pourrait le laisser croire. Qui dit lapsteel pourrait également signifier vieux blues des marais, country crasseuse ou même musique hawaïenne déviante et il est évident que One Lick Less joue une sorte de musique, disons, folklorique ou en tous les cas marquée par quelques traces issues des terroirs mentionnés juste avant. Mais tout l’art funambule de One Lick Less consiste en une réappropriation de ces idiomes musicaux sans passer pour une bande de petits prétentieux post-modernes. En ce sens la démarche du duo n’est pas sans rapport avec celle d’un autre duo qui lui a profondément marqué les années 90, à savoir Gastr Del Sol, le groupe de David Grubbs et de Jim O’Rourke, et ce d’autant plus que comme chez Gastr Del Sol, One Lick Less possède un indéniable côté pop puisque l’éclat mélodique occupe ici une place centrale. Le travail de musiciens tel que Loren Mazzacane Connors et bien sûr – et surtout… – John Fahey sont également à prendre en considération pour comprendre la démarche de One Lick Less mais, précision d’importance, il s’agit plus d’optiques parallèles et d’intentions convergentes que de réelles filiations.

La musique de One Lick Less ne capitalise donc en rien sur le passé pas plus qu’elle se veut moderniste à tout prix. Elle résout l’impossible équation de l’atemporalité ancrée dans une histoire toujours aussi vivace avec la même pertinence qu’elle résout celle de l’acoustique confronté à l’électrique ou celle de la sophistication et de l’immédiateté. Et on remarquera au passage une reprise transcendée d’Alifib, magnifique composition de Robert Wyatt et tirée de Rock Bottom, certainement le disque le plus emblématique de ce grand poète. Un pari plutôt osé voire casse-gueule mais dont les deux One Lick Less sortent non seulement indemnes mais également grandis, tout simplement parce qu’ils ne s’y contentent toujours pas d’imiter ou de courir derrière je ne sais quelle chimère mais préfèrent inventer leurs propres fantômes, entre vie terrestre et paradis lointain.

Spirits Of Marine Terrace est publié en vinyle et CD et qui plus est voilà deux objets magnifiques : chaque pochette a été sérigraphiée grâce aux bons soins de Brian Cougar , talentueux graphiste basé sur Paris lui aussi. Un disque disponible auprès des trois labels indépendants et activistes suivants : En Vla records , Les Disques De Plomb et Whosbrain records .

 

Hazam.