Maguy Marin, Anne Teresa de Keersmaeker, Lucinda Childs, Ballet de l’Opéra de Lyon : Grandes fugues, à l’Opéra de Lyon du 17 au 25 novembre 2016.

 

Lucinda Childs, Anne Teresa de Keersmaeker et Maguy Marin, trois chorégraphes présentées à Lyon dans le cadre du programme « Grandes fugues », partagent un rapport très précis et parfois sophistiqué à la musique. Elles ont créé quelques-uns de leurs chefs d’œuvre sur de la musique répétitive ou minimaliste formant des couples mythiques de chorégraphes musiciens : Lucinda Childs/ Philip Glass, Anne Teresa De Keersmaeker/Steven Reich, ou encore Maguy Marin/Gavin Bryars. Avec l’œuvre tardive de Beethoven, Die Grosse Fugue op. 133, elles se confrontent au sein de la musique classique à une musique non narrative, difficile d’accès, que la danse doit apprivoiser.

rsz_atdk-grandesfugues29_copyrightstoflethPour Anne Teresa de Keersmaeker, le pari est gagné d’entrée. La chorégraphe belge est probablement une des meilleures chorégraphes contemporaines de la musique. Son attention à la musique et sa compréhension des partitions sont celles d’une musicienne. De cette écriture virtuose pour quatuor, elle utilise magistralement le contre-point et fait de l’écriture chorégraphique une ligne de plus de la partition musicale. Ses danseurs, de costumes vêtus, majoritairement des hommes, traversent la scène avec une force physique démesurée. La suspension des mouvements et les ruptures de rythme soulignent en contre-point la complexité de l’œuvre musicale.

rsz_mm-grandesfugues51_copyrightstoflethMaguy Marin nous offre une autre compréhension, plus intime, de la musique de Beethoven. Quatre danseuses, telles un quatuor, occupent l’espace habillées de rouge sang. C’est le théâtre de la vie qui semble ici au cœur de la danse. Tantôt poupées désarticulées, tantôt amies proches, les danseuses évoluent entre joies et peines, jeunesse et vieillesse, force et faiblesse. Dans une forme plus réduite que « May B », une de ses chorégraphies majeures, Maguy Marin nous entraîne dans une danse qui sait parler avec une économie de mouvements des choses les plus essentielles.

rsz_lc-grandesfugues14_copyrightstoflethEnfin, la première pièce du programme dans l’ordre de présentation à l’Opéra est probablement la pièce la plus décevante, notamment dans son rapport à la musique. Lucinda Childs qui crée tout spécialement cette pièce pour le ballet de l’Opéra de Lyon nous donne à voir six couples dans une danse très claire, trop claire : des danseurs vêtus de gris clair, un tapis de danse blanc, un fond blanc, un décor uniquement occupé dans le fond par un grand élément fait de métal ajouré… Tout est beau, parfaitement dansé (les danseuses et danseurs de l’Opéra de Lyon sont formidables d’un bout à l’autre du programme), des formes pleinement harmonieuses, mais éthéré au point d’être non charnel, une performance des corps sans chair ni émotions. Très loin de la musique tout à la fois à la fois complexe, torturée et charnelle de Beethoven. Mais que s’est-il donc passé depuis les débuts de la postmodern danse américaine ? Depuis son œuvre fondatrice « Danse » de 1979 sur la musique de Philippe Glass et dans un décor de Sol LeWitt ? Lucinda Childs n’a-t-elle rien de nouveau à dire ?

Quoiqu’il en soit ce programme autour de la Grande fugue de Beethoven montre une nouvelle fois que la danse contemporaine peut autant être une simple illustration de ce que le corps peut faire de plus performant comme un des langages artistiques les plus directs pour parler de notre humanité et de notre finitude. Paraphrasant Maguy Marin, « c’est alors qu’on a envie de courir éperdument à perdre haleine, pour vivre chaque instant comme des derniers instants ».

 

Marius Navaja

 

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