Camille

C’est toujours la même route finalement ; celle des vacances, qui finit dans un platane, celle de l’école où finissent les rêves, celle de l’église pour, au choix et dans l’ordre, baptême, mariage, enterrement …

Une route que l’on parcourt toujours seul, avec parfois un parfum d’agrumes aux cheveux de l’aimée.

Camille (1)Jadis, j’aime bien ce mot jadis, ça vous a un côté suranné comme une photo sépia. Jadis, je courrais comme un lapin au bras de Camille, mon géant Pépé.
Nous partions tous deux cueillir les airelles aux aurores, le boréal était dans ses yeux bleus, héritage nordique qu’il portait comme on porte l’uniforme, avec fierté.

L’aventure commençait dans le fournil, où planait une odeur de fruits surs. Il y fourbissait bottes et manteaux, taillait des sabots dans du bois vert, et maudissait Dieu, à l’écart des oreilles un peu bigotes de ma grand-mère.

Nous choisissions avec soin les peignes les plus légers et je grimpais dans sa hotte, seul passager de ce Père Noël.

Il avançait, tel un dromadaire auvergnat, écartant ronces et fougères, s’arrêtant parfois pour surprendre une chanterelle, et moi, tel un cornac, juché sur ses belles épaules, je dominais ce qui allait être le terrain de jeu de mes plus belles années, les Bois Noirs.

Camille m’apprit à suivre la piste du sanglier, sacré fumier qui vient déterrer les patates, poser des collets pour les lapins, ajuster une grive d’un coup de fusil. Il m’offrit mon premier couteau, avec lequel je m’entaillais le pouce dès le premier jour.
Nous casse-croûtions souvent à la Pierre des Fées, où des druides un peu fêlés sacrifiaient leurs congénères, le pain y avait un goût d’effroi et Camille me serrait fort pour faire partir la trouille.

Il me racontait sa vie d’enfant, les coins à écrevisses, la guerre avec les boches, sacrés fumiers qui viennent déterrer les patates…

La mine d’uranium avait mangé ses poumons et bien qu’il ait jeté sa dernière clope le jour de ma naissance, le souffle lui manquait un peu.

Il aimait la vie comme une maîtresse, une voleuse de santé.

On l’a mis dans la terre, aux pieds des Bois Noirs.

 

Gus Viseur – Douce joie