Les texticules de Pedro # 24

Brûlons les bigots (et écoutons nos vieux disques)

J’ai été frappé, ces derniers jours, par les références récurrentes à The Wicker Man dans les conseils cinématographiques qui nourrissent nos échanges confinés sur les réseaux sociaux. Pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas, The Wicker Man est un chef d’œuvre du cinéma anglais, sorti en 1973. Réalisé par Robin Hardy, il démarre comme un film policier pour basculer rapidement dans le fantastique. Je l’ai vu cinq ou six fois depuis une découverte à la télé anglaise au milieu des années 80 et il compte parmi mes films préférés de par sa férocité jubilatoire.

En voici l’intrigue. Le sergent Neil Howie (Edward Woodward) débarque à Summerisle, une petite île de isolée au large de l’Écosse, après avoir reçu une lettre anonyme alertant sur la disparition d’une adolescente, Rowan Morrisson (Gerry Cowper). Howie est un policier austère, chrétien particulièrement bigot, et ses premiers contacts avec les insulaires, truculents et portés sur la gaudriole, sont difficiles. Il est horrifié quand il comprend que les habitants de Summerisle sont païens et se livrent à des rites que son puritanisme réprouve. Il est par exemple choqué lorsque, faisant irruption dans l’école que fréquentait Rowan, il entend l’institutrice expliquer à ses élèves que le mat de cocagne, animation de la prochaine fête du village, est un symbole phallique.

Howie déduit, après une rencontre avec le noble local, lord Summerisle (Christopher Lee, dont c’est ici le meilleur rôle, loin devant ses interprétations de Dracula), que Rowan est destinée à être sacrifiée pour que les dieux païens mettent fin à une série de mauvaises récoltes. Je vous rassure : je n’ai rien divulgaché à ce stade, cette déduction arrivant assez rapidement. La suite est encore plus délectable, que je vous invite à apprécier par vous-même ou, si vous êtes pressée.e.s, à reconstituer dans cet hilarant résumé du Muppet Show.

Le thème du film est donc la pensée magique, l’idée que des rituels peuvent écarter des catastrophes ou annihiler des fléaux en attirant les bonnes grâces d’une entité surnaturelle disposant du pouvoir de retourner un destin funeste. Qu’un film traitant de rites propitiatoires hante l’esprit de bon nombre d’entre nous en ce moment n’a, me semble-t-il, rien d’anodin. Nous avons beau être rationnels et scientifiques, rétifs à toute superstition, prompts à nous gausser des médailles du saint curé d’Ars, croix Vitafor et autres amulettes, quelque chose en nous voudrait croire qu’une solution miracle existe, capable de mettre un terme immédiat au cauchemar que nous vivons — cela sans parler des rationalisations de nos manquements aux prescriptions sanitaires (« je ne risque rien… ») qui relèvent elles aussi bien souvent d’une pensée magique. « On y croit toujours plus qu’on ne croit », disait Jeanne Favret-Saada, anthropologue spécialiste de la magie (1).

Nulle ironie de surplomb ici : je m’inclus largement parmi celles et ceux qui, confusément, voudraient tellement croire que quelque rite bien exécuté permettrait de juguler l’épidémie. Ainsi, je serais largement tenté par l’exécution de quelques sacrifices humains s’ils pouvaient avoir quelque effet sur la courbe de l’épidémie — par exemple parmi celles et ceux dont l’incompétence arrogante a fragilisé l’hôpital au pire moment, favorisé les contaminations dans les bureaux de vote ou encore délocalisé la production de masques et de médicaments.

Tentation vite dissipée, il est vrai. Celles et ceux que je rêverais de voir immolés dans une cage d’osier sont hors d’atteinte et, surtout, mon surmoi humaniste m’empêcherait d’allumer le brasier purificateur. Ma pensée magique personnelle m’incline à rechercher d’autres solutions d’inspiration cinématographique, par exemple dans le génial Mars Attacks de Tim Burton. Ici, le remède radical à une autre menace sur l’humanité — l’invasion de martiens hostiles — est une chanson sirupeuse, dont la ringardise est capable de tuer tous les envahisseurs. Une invitation à se replonger dans le fond des discothèques pour y puiser des oldies négligées, se poiler en écoutant des morceaux improbables et espérer voir ainsi de rapprocher la fin de l’épidémie. Magique, non ?

Pedro

1. La formule est le titre d’un article consacré à la poupée vaudou d’un président que l’histoire a déjà oublié : https://journals.openedition.org/lhomme/22069