[Bring The NoiZe : une rubrique discophile récurrente mais à périodicité totalement aléatoire ; on y parle de disques plus ou moins obscurs (mais pas toujours) et publiés pour la plupart par des micro labels tenus par des passionnés enthousiastes et dévoués (mais pas seulement) ; alors autant dire que la seule règle de conduite suivie ici est celle de la subjectivité voire de la mauvaise foi… ce qui signifie également que la meilleure façon de découvrir des musiques, des groupes et leurs disques, c’est d’aller les écouter et de se faire une opinion par soi-même]

 

Papier Tigre_The Screw_LPQue pouvait-on espérer du quatrième album de Papier Tigre ? Le meilleur bien sûr. C’est peu dire que The Screw était très attendu au tournant puisque il parait quatre ans après son prédécesseur, le fantastique et très acclamé Recreation. Les quelques interrogations et inquiétudes sont rapidement balayées par The Other Me, titre d’ouverture qui démontre magistralement que le trio nantais n’a rien perdu de sa superbe ni de sa capacité à composer des chansons aussi directes que sophistiquées et contrastées. Et toute la suite est à l’avenant. On n’est certes guère étonné de retrouver tous les ingrédients qui nous ont fait et nous font encore et toujours aimer la musique de Papier Tigre mais point de déception et on ne parlera pas de redite non plus tant ces trois garçons semblent avoir gardé intacte leur foi en leur musique. Pajamas ou And There Were Some Lonely Hands par exemple sont symptomatiques de cette capacité unique à se balader sur le fil du rasoir, tout en naviguant entre pop aiguisée et poussées noisy. Avec Papier Tigre il reste pourtant toujours une part de surprise, le groupe ayant le don de (faire semblant de) prendre des chemins de traverse mais de toujours retomber sur ses pattes. Et une surprise il y en a même une de taille sur The Screw : la deuxième face du disque démarre par A Matter Of Minutes, pièce maitresse du disque de plus de neuf minutes sur laquelle le trio désosse impitoyablement et exacerbe complètement sa musique. C’est de loin le titre le plus expérimental de The Screw voire de toute la discographie de Papier Tigre avec cette façon de tout balayer puis de décliner paisiblement… une douceur qui n’est que temporaire, le final d’A Matter Of Minutes convoquant un déluge électrique sans faille. Grandiose. The Screw est publié en vinyle et CD (et digital…) par Murailles Music et Function records.

 

Gentle Veincut_Poutre_split_12'Cela fait des années que l’on n’avait pas eu de vraies nouvelles de Gentle Veincut. Et voilà que parait ce magnifique split vinyle (pochette sérigraphiée et tout le toutim) en compagnie de Poutre. La surprise – aujourd’hui j’aime bien ce mot – est d’autant plus belle que les trois titres proposés par les francfortois sont d’un haut niveau question noise-rock racé et nerveux. Gentle Veincut officie en la matière depuis près de vingt ans et on ne peut pas accuser le groupe de passéisme mais par contre on peut le considérer comme un maitre du genre, entre puissance et noblesse. La noblesse, outre les subtilités d’une musique cependant toujours ardue, c’est aussi et surtout celle d’un chant féminin habité mais qui n’abuse jamais de sa faculté de subjugation (autrement dit : il n’en fait jamais trop). Voilà bien un retour gagnant.
De l’autre côté du disque on retrouve Poutre dont j’ai déjà abondamment parlé ici à propos de Voglio Di Più, tout simplement l’un des meilleurs disques de l’année 2013. Invoices et Money Talks (est-ce qu’il s’agirait d’une prise de position contre la financiarisation à outrance de notre monde en faillite ?) sont les parfaits et dignes successeurs de cet album. Deux titres nerveux et incisifs, rapides comme du punk et chauds bouillants comme de la noise. Les arlésiens sont toujours autant en verve et je suis certain qu’ils ont encore plein de choses à nous dire. Ce split a été publié par une tripotée de label do it yourself / do it together, voyez comme la vie peut être belle parfois : Amor Komma, Assos’y’Song, Boom Boom Rikordz, Day Off, Et Mon Cul C’est Du Tofu ?, Gabu records, Katatak, Rejuvenation et Whosbrain records, OUF.

 

202project_Les Cendres Et Le Vent_LPJean Pierre Marsal aka 202project est un grand type courageux et qui surtout sait ce qu’il veut. Il a déjà enregistré des tonnes de disques, effectué des dizaines (centaines ?) de concerts en Europe et il vient de publier Les Cendres Et Le Vent sur son propre label, 202prod. Un disque qu’il a voulu plus personnel et intime que jamais – il a ses raisons – et qui distille des atmosphères sombres et des sentiments parfois doux-amers, souvent révoltés mais jamais résignés. Des Cendres Et Le Vent (on dirait le titre d’un film de sabre introspectif avec une femme-renard qui n’a pas le droit de vivre son Amour pour un moine shaolin en plein questionnement existentiel) est un album qui vous colle à la peau et au cœur dès la première écoute et qui grandit en vous, sans vous lâcher. D’apparence plus électronique – mais les guitares sont toujours bien là –, Les Cendres Et Le Vent puise son inspiration aussi bien dans le post-punk, le blues, le shoegaze, l’indus, l’électro et le rap et ici point de mélanges indigestes ou asphyxiants, tout est savamment dosé et équilibré avec une sensibilité que l’on devine à fleur de peau. Le plus miraculeux dans tout ça reste sûrement le chant et les textes en français : JP Marsal a décidé d’abandonner l’anglais et de changer de langue pour ce nouvel album et bien lui en a pris. Il ne tombe pas dans les travers de la poésie facilement baudelairienne et maitrise parfaitement une diction, un sens du rythme et le difficile jeu des sonorités de la langue française qui font que son chant réussit à allier efficacité, signification et émotion. Parce qu’en plus les textes des chansons méritent que l’on s’y arrête. Plus qu’une bonne surprise, Les Cendres Et Le Vent est un grand disque, tout simplement.

Hazam.